Le quotidien, la routine, les petites peines, les petites joies, la vie quoi ! Et un jour la mort vous rattrape, vous rappelant qu’à tout moment vous pouvez perdre un proche, un être cher. Une épreuve très difficile à vivre et que chacun aborde à sa manière.
Depuis la naissance de michoco, j’avoue qu’il m’arrive de penser plus souvent à la mort. A la sienne (est-ce qu’il respire encore quand il dort ?), à la mienne (que deviendrait-il si je ne suis plus là ?) ou à celle de grand choco, de mes parents (comment fait-on pour vivre après la mort de ceux qui vous ont donné la vie ?). L’article d’hier était déjà un peu « lourd », je voulais faire un truc plus léger pour aujourd’hui et à 13h56 le téléphone sonne…
Tiens, justement c’est le papa de la petite pierre en forme de cœur d’hier… Il est plus qu’un ami. Je considère sa famille comme ma famille et sa famille m’a toujours intégrée comme un membre à part entière de la leur. Je ne décroche pas, je suis sur un truc pour le boulot. Il insiste, je ne décroche pas. SMS : « je suis occupée, je te rappelle ». Réponse : « Mon père est décédé. ». A peine deux secondes plus tard : appel de son frère, puis texto : « Papa est décédé ». La terre s’écroule. Vous fermez l’ordi, faites les 100 pas, relisez le texto. « Quoi ? mais c’est impossible… ». Oui je sais c’est très con comme réponse, mais sur le coup j’ai été tellement surprise que c’est la seule chose que j’ai été capable d’écrire… Et puis le téléphone sonne à tout va, des voisins, des amis de la famille qui se demandent si j’ai reçu l’information. On s’était eu la veille au téléphone, il avait une tension à 18, était parti au dispensaire, mais rien de plus inquiétant que ça. Et puis l’appel. Biiiiip… biiiip, explosion de larmes, j’ai essayé de me contenir mais ça sort comme une cascade… ça décroche, explosion de larme à l’autre bout du fil. On ne peut même pas parler… On pleure puis on raccroche.
Il s’appelait Ousseynou, c’était un homme bien, il n’a pas cherché à faire du mal dans sa vie, il a fait de ses deux garçons des hommes bien. C’était mon ami et même si on en pouvait pas beaucoup ou souvent communiquer, il me manque déjà énormément.
Ici au Sénégal les coutumes autour du décès sont tout à fait différentes des nôtres. Tout d’abord les gens sont très croyants et pratiquants. Qu’ils soient musulmans (pour la grande majorité) ou chrétiens, les sénégalais s’en remettent énormément à Dieu. Ça permet sûrement « d’avaler la pilule » plus facilement, de se rassurer en se disant que le défunt est accueilli au Paradis, de s’en remettre à la volonté divine… Je trouve généralement les gens ici moins « fâchés » par la mort.
L’enterrement est immédiat : 2, 4, maximum 6 heures après le décès de la personne. C’est extrêmement rapide, ce qui signifie que si tu n’es pas sur place, tu n’assiste pas à la mise en terre du corps. Le frère aîné de la famille travaille à 600 kilomètres du village, il a pris départ immédiatement mais n’est pas encore arrivé « à la maison », son papa lui est déjà sous terre depuis 18 heures.
On enterre le corps à même la terre, dans un linge blanc. Je trouve que c’est très simple. Je ne suis pas une grande fan des cercueils et cimetières européens. En ville il y a des cimetières plus « organisés », la partie musulmane est remplie de petits écriteaux en fer (enterrement des corps toujours à même la terre), la partie chrétienne est constituée de croix et quelques pierres tombales (avec un cercueil ou pas selon les moyens). En « brousse », il y a des lieux dédiés, connus de tous. C’est en forêt pour la région dont je vous parle. Si vous n’êtes pas du coin, vous ne pouvez pas vraiment vous rendre compte que c’est un cimetière. Bien sûr, si vous parlez de crémation, les gens vous prennent pour une folle, voire une sorcière, ici c’est impensable. Le corps revient à la terre.
Très récemment j’ai découvert que les femmes ne se rendaient pas au cimetière, ni pendant l’enterrement, ni après, ni jamais. J’ai tout d’abord cru que c’était une coutume mais que les « dérogations » étaient tolérées. Mais non, c’est tout à fait sérieux et indérogeable. J’ai trouvé ça extrêmement dur et j’ai dit à grand choco que je souhaitais donc vraiment décéder avant lui car je ne pourrais pas supporter de ne pas pouvoir accompagner son corps jusqu’à sa dernière demeure, où aller me recueillir sur sa tombe. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’interroger des femmes sénégalaises pour savoir si ça leur faisait de la peine ou si c’était vécu comme un fait « normal », voire « une bonne chose ».
En tout cas, comme en Europe, les condoléances sont très importantes et je me rends compte que pour la personne qui vient de perdre un proche, c’est un réconfort, une bouée de sauvetage. Quand j’étais jeune je n’y prêtais pas trop attention. Mais en voyant mes amis perdre des êtres chers, j’ai compris au fur et à mesure à quel point un petit mot, une petite attention durant ce moment si difficile pouvait compter. Je n’ai pas eu l’occasion ici au Sénégal de vivre le décès d’un proche de près. C’est le premier qui me touche directement et pour l’instant que suis à 900 kilomètres, mais ensuite je sais qu’il y a des sacrifices, des cérémonies pratiquées un certain nombre de jours après le décès, des récitations de Coran. Un « accompagnement au deuil » en somme.
En ce qui concerne les héritages, pas de notaire (même si sur Dakar ça commence à se faire), pas d’intervention de la loi ou des impôts car on est dans l’informel. Parfois le défunt a laissé des instructions écrites ou orales à un proche qui vient témoigner, sinon ça s’organise entre les héritiers lors de ce qui peut s’apparenter à un conseil de famille. En cas de désaccord on fait intervenir un ou des tiers ou l’équivalent d’un conseil des sages pour assurer l’équitabilité.
Le plus étonnant est pour moi le cas des femmes. On ne conseille pas à une veuve de rester non mariée éternellement car cela pourrait compromette son entrée au Paradis. Les veuves se remarient donc. Souvent ce sont des mariages « symboliques », où il n’y a pas de rapport particulier entre la veuve et son nouveau mari, pas d’intimités non plus, ils ne vivent pas sous le même toit, ne partage rien. C’est un mariage qui permet à la femme d’être « sous-couvert » d’un homme. La maman de Grand choco est veuve depuis presque 30 ans et elle a un « mari » que je ne connais absolument pas et qui ne compte pas plus que cela, ni dans sa vie de femme, ni dans sa vie de famille. En cas de femmes jeunes, désireuses de se remarier, j’ai déjà vu des frères du défunt demander en mariage la veuve. Très étrange, mais c’est vécu comme un moindre mal ici, ça permet que les biens et les enfants « restent » dans la famille. Je n’ai pas d’avis sur le sujet. Je trouve cela dur, mais après tout, n’est-ce pas une solution ? Une sénégalaise m’avait demandé mon avis au moment où le frère de son défunt mari l’a demandé en mariage. Je lui ai dit d’écouter son cœur car je ne voulais surtout pas m’immiscer dans cette décision si personnelle. Elle s’est finalement mariée. L’homme avait déjà une première épouse (oui oui, un jour je vous parlerai de la polygamie !). Petit à petit ils se sont rapprochés, elle m’a confié qu’ils avaient même des rapports sexuels ensemble, mais au moment où elle a voulu des enfants lui ne voulait pas. Finalement ils ont fini par divorcer et la femme continue d’occuper, avec ses enfants, la maison de son défunt mari. Certains sénégalais m’ont avoué qu’eux ne pourraient jamais se marier avec la femme de leur frère, même s’ils prendraient évidemment en charge financièrement la veuve et les orphelins.
Une petite histoire qu’un vieil africain m’a compté un jour : il me traduisait un mot peul qui en français signifie « petit marigot » (un marigot est un genre de petite mare d’eau qui reste même stagnante quand le cours d’eau se tarit). Dans l’Islam, l’entrée du Paradis se trouve derrière ce marigot et le défunt ne peut le traverser sans s’être acquitté de toutes ses dettes sur terre. Raison pour laquelle lors de l’enterrement du défunt la famille demande haut et fort si le défunt doit de l’argent à quiconque. Si tel est le cas la famille rembourse, ou négocie la dette, pour permettre au défunt de traverser ce marigot et pouvoir atteindre la porte du paradis.
Au Sénégal, quand on donne les condoléances, on utilise une très belle expression : « Que la Terre lui soit légère ».