Demain

Les anciens râlent. « Ce n’est plus ce que c’était, les jeunes ne s’investissent pas comme nous. Ah, de notre temps… »

Les jeunes rêvent de rappeurs, de stars de hip-hop, de football. Pourtant, bercés depuis leur plus tendre enfance dans le dos de leur maman au rythme des chants et danses de leur ethnie, ils sont au rendez-vous. Des nuits entières à taper la cadence, à célébrer des rites, à perpétrer la tradition.

Chaque génération intègre un peu d’elle-même dans les costumes ancestraux. Des fils de scoubidou, une paire de « plastiques » blanches, des lunettes de soleil aux verres fumés, des chaussettes de foot, un billet épinglé à la coiffe, des coiffures qui se permettent quelques extravagances aussi ou au contraire des crânes plus sages car ce n’est plus très à la mode au Sénégal un homme tressé…

Les anciens commentent à voix haute mais quand on leur demande si les premiers fils du caméléon portaient du plastique ou des chaînes métalliques, ils sourient en silence et se replongent dans leurs souvenirs de jeunesse, quand les vieux pestaient déjà contre eux et leurs futiles ornementations, leur total non-respect du sacré et des valeurs…

Demain les jeunes reprendront un à un tous les éléments devenus au fil du temps partie intégrante de leur tenue traditionnelle et l’agrémenteront à leur sauce du moment.

Demain quoi qu’en dise les vieux, on continuera de danser et de célébrer jusqu’à l’aube sur la place du village car cette culture est bien VIVANTE !

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C’était ma participation au projet 52 de Ma’ sur le thème « demain », et les autres sont toutes regroupées ici, et ce dès aujourd’hui !

Lat Dior, Roi du Cayor

lat-diorCe week-end au centre hippique Grand Choco s’est émerveillé devant un cheval qui s’appelait Lat Dior.

– Quoi, mais tu ne connais pas Lat Dior ???!
– Ben non, je ne connais pas Lat Dior…
– Mais on vous apprend quoi à l’école, c’est un personnage clé dans l’Histoire du Sénégal.
– Tu sais le Sénégal quand tu es en France… On te parle vite fait de triangle de commerce (le mot esclave étant presque tabou), de colonisation et décolonisation, encore plus rapidement des tirailleurs sénégalais (et encore…), au milieu de l’Histoire gréco-romaine, du Moyen-Âge, des Rois de France, de la Révolution française, des guerres mondiales, mais non, désolée, je ne connais pas Lat Dior…

Il nous alors a raconté l’histoire de ce Roi du Cayor.
C’était captivant et il avait les yeux qui brillaient de souvenirs de bancs de l’école, une école bien différente de la mienne quand j’y pense. On y a appris tous les deux que 2+2 font 4 et que les adjectifs qualificatifs se conjuguent en français en genre et en nombre avec le nom commun auquel ils sont rattachés, mais on y a aussi appris des choses si différentes, dont des morceaux d’Histoire. Au fond les noms divergent, les siens me font rêver, voyager, pleurer, mais ce sont toujours des histoires d’Empire, de territoire, de pouvoir, de domination, de méchants et de gentils selon le côté duquel on regarde les choses. Peu de femmes, beaucoup de sang et quelques gens éclairés (ou pas) qui gravent leur nom dans la pierre.

Je ne suis pas assez calée en Histoire sénégalaise pour savoir si l’histoire de ce personnage a vraiment compté dans l’Histoire ou si c’est l’Histoire qui avait besoin à un moment de se fabriquer ses histoires et ses héros. Mais là c’est un débat universel et on dérive sur la Philosophie, alors revenons à notre histoire !

Madame Gaou nous rappelle à sa sauce que ce mois-ci en Amérique du Nord c’est le mois de l’Histoire des Noirs. Oui Madame Gaou, mieux vaut un peu que rien du tout… mais oui : dans quel monde vivons-nous pour être obligé de donner une couleur à l’Histoire… Je vous invite à aller lire son article ici, tout y est dit !

– Tu vois, maintenant je connais Lat Dior. Les pommes Cayor auront un goût d’Histoire et je ne regarderai plus Malaw le cheval de notre quartier de la même manière depuis que je sais qu’il est l’homonyme d’un des chevaux de Lat Dior ! Alors heureusement que tu es là pour m’en parler. Tu raconteras à Michoco un jour, hein ?! Et demain si tu veux je te raconterai qui est Jean Jaurès.
– Jean qui ?!

Merci M’dame Gaou, moi aussi je vais m’atteler à ce que Michoco comprenne bien toutes les nuances de l’Histoire ;-)

 

Pour tout savoir sur Lat Dior (je sens que ça va en passionner certains !) : wikipédia, au-senegal (l’illustration vient d’ailleurs de là). Intéressant d’observer en poursuivant les recherches sur d’autres liens Google de voir comment chacun se raconte l’Histoire à sa façon…

à la baguette !

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J’adore manger avec des baguettes ! (bon, d’accord, j’avoue… j’adore manger tout court, que ce soit à la main, à la cuillère, à la fourchette ou à la baguette !)

Il m’arrive donc, de temps en temps, de mettre mon riz ou ma salade de crudités dans un bol et de troquer ma fourchette contre une paire de baguettes !

Michoco très interloqué par cette nouvelle technique était tout fier que je lui fasse goûter avec des baguettes les 3 grains de riz qui restaient au fond de mon bol…

Il m’a fait : « Mmmmmmm ! » comme si le fait de manger avec des baguettes rendait le riz encore plus délicieux ! Génial comme parfois la présentation, le cadre, le contexte peuvent tout changer au goût d’un met. Ce qui est vrai pour les grands à l’air de l’être aussi pour les tout-petits !

Ni une ni deux, il appelle sa nounou pour lui faire partager sa découverte.

20140513_132446Me voilà lancée dans un cours initiatique à la manipulation des baguettes (à la nounou, pas à michoco !). Elle se débrouille plutôt bien et Michoco adore, il demande à prendre tout son repas (riz – bolognaise) aux baguettes, se délectant de chaque bouchée comme si il était au bord du Mékong…

J’y ai vu trois avantages :
. Ça permet aux gloutons/voraces de notre espèce de temporiser un peu la vitesse et la quantité des bouchées (à part si on est un expert en baguettes qui mange à la vitesse d’un manga ou de kung-fu panda bien sûr mais ni moi ni la nounou n’avons encore atteint ce niveau de dextérité !)
. Ça permet de changer de l’ordinaire et peut-être d’intéresser des bébés qui ont du mal à manger certains plats (ce qui n’est pas notre problème, vous l’aurez compris…)
. C’est toujours sympa de s’ouvrir à d’autres cultures, de voir qu’on ne fait pas partout pareil et d’y prendre du plaisir !

Bien entendu, ça ne marche pas pour les purées ou les compotes… mais à l’âge où l’on introduit des repas avec morceaux, j’ai trouvé que c’était une expérience très sympa ! Et je suis sûre que plus tard ce sera très chouette aussi !

Cette semaine est donc décrétée officiellement « semaine familiale de l’Asie » !
Ce soir cueillette de citronnelle dans le jardin du quartier pour un bon petit plat (avec mon gingembre et ma coriandre, ça va être super !)
Petit resto à planifier dans la semaine avec grand choco, ça tombe bien, on adore commander un plat de nems en entrée qu’on se partage amoureusement au bord du même Mékong, mmmmmm…
Figurez-vous que j’ai même entendu parlé d’un nouveau bar à sushis en ville, à votre avis, je le tente ?!

la poésie du pipi

MannekenPisPas plus tard que ce matin, un homme s’arrête dans la rue pour soulager ses besoins…

N’y voyez pas du voyeurisme ou de la curiosité malsaine de ma part, mais je dois vous avouer quelque chose : je suis tout à fait attendrie par la technique sénégalaise !

Quand les français (et d’autres) inondent les murs ou les troncs d’arbres, se débraguettant virilement, laissant sous leurs chaussures une flaque nauséabonde et ruisselante, ici c’est tout un poème, une délicatesse !

L’homme soulève un pan de son boubou qu’il dépose sur son épaule, glisse le tissu restant sous son bras, ouvre encore quelques couches (oui sous leur boubou, les hommes portent un pantalon, un short puis un slip, au cas où il ne ferait pas assez chaud…). Et voilà qu’il s’accroupit fesses plus basses que les genoux, tel un fakir sur les mains, pour déposer son urine dans un petit trou au sol. Pas de giclure, pas de geste déplacé, discrétion garantie par la position, je vous l’ai dit, tout un poème !

Pudeur de ne pas s’exposer ? Souci d’hygiène ? Simple habitude ? A vrai dire, je n’en sais rien. (Même si le mieux est de ne pas uriner dans la rue), voilà une technique des plus appropriées !

Francophonie, vous avez dit cacophonie ?

Francophonie%20communicQuand on vit dans un pays francophone, parce que l’on parle tous « français » on pense que l’on va tous se comprendre…

Et bien non !

Les langues vivantes évoluent, s’acclimatent, s’adaptent à leur contexte, leur environnement, un peu comme les êtres humains en fait.

Quand je rentre en France, on me demande si je suis étrangère car j’ai un petit accent.

Force est de constater que j’ai pris l’accent du coin : l’Africain !

L’accent, les intonations, les façons de former les phrases, les interjections, dê !

Alors voici ce que cela peut donner :

Tous les jours je vais chez le boutiquier (épicier) grâce à la dépense (somme d’argent que l’on laisse à la femme pour les dépenses du jour au marché). Je lui demande si ça va. « Ca va un peu quand même » (toujours nuancer un peu sa réponse pour ne pas montrer que ça va très bien !!), et les activités ? « ah. On est là dê ! » (ça va ; l’interjection faisant partie intégrante de la réponse).
De retour à la maison, je dois linger (faire la lessive). Je n’ai plus d’omo (lessive), je prends mon bic (stylo) pour le rajouter à ma liste de courses. Puis je commande à la dibiterie (provient de débiter la viande). J’appelle mon beau (beau-frère, beau-père), « Viens manger ! » (toute personne qui passe alors que vous êtes entrain de manger, vous l’invitez à vous rejoindre). Il me dit qu’il arrive « tout de suite », il ne vient jamais… (tout de suite voulant souvent dire plus tard…).
Avant d’enfiler mon complet (ensemble, costume), je vérifie s’il n’est pas gâté (abimé). Je pars au garage (entendez gare routière). Ca dure (ça prend du temps), alors comme je ne trouve pas de clando (taxi clandestin) et que le 7 places (taxi collectif) a crevé ses venants (pneus d’occasion venant de France) je prends départ en car rapide (qui n’a de rapide que le nom, vous l’imaginez bien !!!), il déborde de bagots (bagages en tout genre de la valise à la chèvre en passant par les roues de vélo). J’arrive finalement vers seize heures moins (seize heures moins combien ? ben seize heures moins quoi ! qui se finit bien souvent en seize heures plus d’ailleurs (ça c’est mon expression personnelle que j’ai inventé pour survivre m’adapter à la vie d’ici…)), juste le temps de faire les salutations (dire bonjour) avant la descente (fin de la journée de travail). Je demande à monter la clim (en fait ça signifie baisser la température, faut comprendre si vous ne voulez pas finir congelé ou rôti…).
Au goudron (entendez route en asphalte), je droite (tourne à droite), une petite fille me demande de lui offrir une poupée toubab (toubab vient des arabes qui disaient toubib pour dire docteur, c’est devenu le blanc dans le langage courant), une dame me demande un soutien (une aide financière), un monsieur quelque chose pour faire du thé (une aide financière !), je leur réponds « y’a pas de problème » ou alors « on est ensemble » (une bonne façon de me débarrasser d’eux en somme…).
Je sors retrouver mon deuxième bureau (mon amant/ma maîtresse !) avec lequel je fais bien attention de ne pas me faire enceinter, car je ne voudrai pas tomber en état/être en grossesse (vous aurez compris je pense). Il arrive avec son frère même père, même mère, c’est l’homonyme de son père (il porte le même prénom que son père, pas son père même père même mère, son oncle car le frère de votre père est aussi votre père, vous me suivez ?!). Il est un peu plus court/long (petit/grand) que lui. Nous sommes bien décidés à nocer (faire la fête), ça tombe bien car ça ambiance bien ! Je bois du 4×5 (faites le calcul, vous allez comprendre…).
A côté de nous, des musulmans de gauche (pas très pratiquants) qui ne consomment pas que des sucrées (coca, fanta, toute boisson sucrée notamment gazeuse…) finissent bien cadavérés (saouls)… On leur conseille de laisser (d’arrêter). Ce sont des ivoiriens, ils demandent dans quel maki (bar) ils peuvent trouver des go (filles), ce sont des Burkinabés, ils demandent la route (disent au revoir) !

logo-sommet-francophonie-dakarSinon cette semaine, j’ai pas mal traîné avec 8 québequois et c’était tout à fait exotique pour moi : je suis allée magasiner (faire des courses) avec eux, ils m’ont un peu chicanée (taquinée) sur mon chum (mari) et sur une histoire de brassière (soutien-gorge), m’ont bien confirmé que j’étais sa blonde (femme) (suis châtain…) et ont beaucoup ri quand je leur ai demandé combien ils avaient de gosses (testicules en québequois !). Y’en a même un qui avait des bibites (idées noires !). Ils m’ont demandé ce que l’on faisait pour la fin de la semaine (week-end), je leur ai répondu que la semaine était déjà finie puisqu’on était en week-end ! Et puis je me suis vraiment sentie blonde… Sinon pour le reste, je n’ai pas toujours tout compris… mais on s’enverra des courriels pour rester en contact ! Attention, leur adresse s’écrit bien avec un a commercial et non un arobase !

J’aurai appris trois choses :
la semaine passée c’était la semaine internationale de la francophonie !
en novembre 2014 le Sommet de la francophonie se tiendra à dakar !
même en Géorgie il y a un institut français (la très belle illustration du haut est issu de leur site !)

Il faut maintenant que je programme des vacances au Maroc et en Belgique pour parfaire mon français…

Que la terre lui soit légère

Le quotidien, la routine, les petites peines, les petites joies, la vie quoi ! Et un jour la mort vous rattrape, vous rappelant qu’à tout moment vous pouvez perdre un proche, un être cher. Une épreuve très difficile à vivre et que chacun aborde à sa manière.

Depuis la naissance de michoco, j’avoue qu’il m’arrive de penser plus souvent à la mort. A la sienne (est-ce qu’il respire encore quand il dort ?), à la mienne (que deviendrait-il si je ne suis plus là ?) ou à celle de grand choco, de mes parents (comment fait-on pour vivre après la mort de ceux qui vous ont donné la vie ?). L’article d’hier était déjà un peu « lourd », je voulais faire un truc plus léger pour aujourd’hui et à 13h56 le téléphone sonne…

Tiens, justement c’est le papa de la petite pierre en forme de cœur d’hier…  Il est plus qu’un ami. Je considère sa famille comme ma famille et sa famille m’a toujours intégrée comme un membre à part entière de la leur. Je ne décroche pas, je suis sur un truc pour le boulot. Il insiste, je ne décroche pas. SMS : « je suis occupée, je te rappelle ». Réponse : « Mon père est décédé. ». A peine deux secondes plus tard : appel de son frère, puis texto : « Papa est décédé ». La terre s’écroule. Vous fermez l’ordi, faites les 100 pas, relisez le texto. « Quoi ? mais c’est impossible… ». Oui je sais c’est très con comme réponse, mais sur le coup j’ai été tellement surprise que c’est la seule chose que j’ai été capable d’écrire… Et puis le téléphone sonne à tout va, des voisins, des amis de la famille qui se demandent si j’ai reçu l’information. On s’était eu la veille au téléphone, il avait une tension à 18,  était parti au dispensaire, mais rien de plus inquiétant que ça. Et puis l’appel. Biiiiip… biiiip, explosion de larmes, j’ai essayé de me contenir mais ça sort comme une cascade… ça décroche, explosion de larme à l’autre bout du fil. On ne peut même pas parler… On pleure puis on raccroche.

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Il s’appelait Ousseynou, c’était un homme bien, il n’a pas cherché à faire du mal dans sa vie, il a fait de ses deux garçons des hommes bien. C’était mon ami et même si on en pouvait pas beaucoup ou souvent communiquer, il me manque déjà énormément.

Ici au Sénégal les coutumes autour du décès sont tout à fait différentes des nôtres. Tout d’abord les gens sont très croyants et pratiquants. Qu’ils soient musulmans (pour la grande majorité) ou chrétiens, les sénégalais s’en remettent énormément à Dieu. Ça permet sûrement « d’avaler la pilule » plus facilement, de se rassurer en se disant que le défunt est accueilli au Paradis, de s’en remettre à la volonté divine… Je trouve généralement les gens ici moins « fâchés » par la mort.

L’enterrement est immédiat : 2, 4, maximum 6 heures après le décès de la personne. C’est extrêmement rapide, ce qui signifie que si tu n’es pas sur place, tu n’assiste pas à la mise en terre du corps. Le frère aîné de la famille travaille à 600 kilomètres du village, il a pris départ immédiatement mais n’est pas encore arrivé « à la maison », son papa lui est déjà sous terre depuis 18 heures.

On enterre le corps à même la terre, dans un linge blanc. Je trouve que c’est très simple. Je ne suis pas une grande fan des cercueils et cimetières européens. En  ville il y a des cimetières plus « organisés », la partie musulmane est remplie de petits écriteaux en fer (enterrement des corps toujours à même la terre), la partie chrétienne est constituée de croix et quelques pierres tombales (avec un cercueil ou pas selon les moyens). En « brousse », il y a des lieux dédiés, connus de tous. C’est en forêt pour la région dont je vous parle. Si vous n’êtes pas du coin, vous ne pouvez pas vraiment vous rendre compte que c’est un cimetière. Bien sûr, si vous parlez de crémation, les gens vous prennent pour une folle, voire une sorcière, ici c’est impensable. Le corps revient à la terre.

Très récemment j’ai découvert que les femmes ne se rendaient pas au cimetière, ni pendant l’enterrement, ni après, ni jamais. J’ai tout d’abord cru que c’était une coutume mais que les « dérogations » étaient tolérées. Mais non, c’est tout à fait sérieux et indérogeable. J’ai trouvé ça extrêmement dur et j’ai dit à grand choco que je souhaitais donc vraiment décéder avant lui car je ne pourrais pas supporter de ne pas pouvoir accompagner son corps jusqu’à sa dernière demeure, où aller me recueillir sur sa tombe. Je n’ai pas encore eu l’occasion d’interroger des femmes sénégalaises pour savoir si ça leur faisait de la peine ou si c’était vécu comme un fait « normal », voire « une bonne chose ».

En tout cas, comme en Europe, les condoléances sont très importantes et je me rends compte que pour la personne qui vient de perdre un proche, c’est un réconfort, une bouée de sauvetage. Quand j’étais jeune je n’y prêtais pas trop attention. Mais en voyant mes amis perdre des êtres chers, j’ai compris au fur et à mesure à quel point un petit mot, une petite attention durant ce moment si difficile pouvait compter. Je n’ai pas eu l’occasion ici au Sénégal de vivre le décès d’un proche de près. C’est le premier qui me touche directement et pour l’instant que suis à 900 kilomètres, mais ensuite je sais qu’il y a des sacrifices, des cérémonies pratiquées un certain nombre de jours après le décès, des récitations de Coran. Un « accompagnement au deuil » en somme.

En ce qui concerne les héritages, pas de notaire (même si sur Dakar ça commence à se faire), pas d’intervention de la loi ou des impôts car on est dans l’informel. Parfois le défunt a laissé des instructions écrites ou orales à un proche qui vient témoigner, sinon ça s’organise entre les héritiers lors de ce qui peut s’apparenter à un conseil de famille. En cas de désaccord on fait intervenir un ou des tiers ou l’équivalent d’un conseil des sages pour assurer l’équitabilité.

Le plus étonnant est pour moi le cas des femmes. On ne conseille pas à une veuve de rester non mariée éternellement car cela pourrait compromette son entrée au Paradis. Les veuves se remarient donc. Souvent ce sont des mariages « symboliques », où il n’y a pas de rapport particulier entre la veuve et son nouveau mari, pas d’intimités non plus, ils ne vivent pas sous le même toit, ne partage rien. C’est un mariage qui permet à la femme d’être « sous-couvert » d’un homme. La maman de Grand choco est veuve depuis presque 30 ans et elle a un « mari » que je ne connais absolument pas et qui ne compte pas plus que cela, ni dans sa vie de femme, ni dans sa vie de famille. En cas de femmes jeunes, désireuses de se remarier, j’ai déjà vu des frères du défunt demander en mariage la veuve. Très étrange, mais c’est vécu comme un moindre mal ici, ça permet que les biens et les enfants « restent » dans la famille. Je n’ai pas d’avis sur le sujet. Je trouve cela dur, mais après tout, n’est-ce pas une solution ? Une sénégalaise m’avait demandé mon avis au moment où le frère de son défunt mari l’a demandé en mariage. Je lui ai dit d’écouter son cœur car je ne voulais surtout pas m’immiscer dans cette décision si personnelle. Elle s’est finalement mariée. L’homme avait déjà une première épouse (oui oui, un jour je vous parlerai de la polygamie !). Petit à petit ils se sont rapprochés, elle m’a confié qu’ils avaient même des rapports sexuels ensemble, mais au moment où elle a voulu des enfants lui ne voulait pas. Finalement ils ont fini par divorcer et la femme continue d’occuper, avec ses enfants, la maison de son défunt mari. Certains sénégalais m’ont avoué qu’eux ne pourraient jamais se marier avec la femme de leur frère, même s’ils prendraient évidemment en charge financièrement la veuve et les orphelins.

Une petite histoire qu’un vieil africain m’a compté un jour : il me traduisait un mot peul qui en français signifie « petit marigot » (un marigot est un genre de petite mare d’eau qui reste même stagnante quand le cours d’eau se tarit). Dans l’Islam, l’entrée du Paradis se trouve derrière ce marigot et le défunt ne peut le traverser sans s’être acquitté de toutes ses dettes sur terre. Raison pour laquelle lors de l’enterrement du défunt la famille demande haut et fort si le défunt doit de l’argent à quiconque. Si tel est le cas la famille rembourse, ou négocie la dette, pour permettre au défunt de traverser ce marigot et pouvoir atteindre la porte du paradis.

Au Sénégal, quand on donne les condoléances, on utilise une très belle expression  : « Que la Terre lui soit légère ».