– Pour Sibi, c’est ce car là, chef ?
– Oui, il faut aller chercher tickets au guichet.
– Bonjour, deux tickets pour Sibi.
– Oui, vos noms ?
– Rossetti, et le second, c’est Litt.
– R-O-S-S-E-T-T-I
– Le second, c’est L-I-T-T
– C-E-L-I-T-T
– Non, juste L-I-T-T
– C-E ?
– LITT
– CELITT ?
– CE et LITT ?
– Juste…
– C…
– Non
Le bus pour Sibi est vide. Pour le moment. C’est mauvais signe. Un minibus part quand il est plein. Il est 11h du mat’. On espère ne pas attendre trop longtemps.
– Chef, il part quand le bus ?
– 16h.
– … Pas avant ? Il y en à d’autre ?
– Oui
– Quand ?
– 10h.
– Il est 11h.
– …
– On va partir dans combien de temps ?
– Oui.
– OK.
On commence une partie de poker pour tuer le temps, assis dans le fourgon. En France, c’est un fourgon 8 places, deux devant, trois sur chaque banquette arrière. Là, c’est plutôt du 20-25 places, selon l’affluence, à taille de véhicule égale. Jo me dit de me serrer un peu, la place que j’occupe est en fait une double place. Après un peu d’attente, on nous indique un autre fourgon en partance. J’avais demandé 4 fois si un véhicule partait plus tôt, c’était toujours non, et tout à coup, en voilà un qui part.
On est 21. Je mets ma jambe sous le siège. Je range mes bras dans mon sac. J’installe mes genoux sur mes épaules. Je coupe la circulation du sang. Voilà, je suis à l’aise pour le trajet. En route.
– Monsieur, c’est bien le bus pour Sibi, ou bien ?
– Oui, oui.
– Combien de temps pour le trajet ?
– Oui, oui.
– OK.
Avant le départ, le chauffeur fait l’appel des personnes inscrites.
– Coulibaly… diawara… traoré… rossetti… litt…cé… ? cé est pas là ?
On part vers les monts manding, proche de Bamako, environ 55km. Plus de piste que de goudron pour aller… Entassé dans le fourgon, le trajet s’annonce long. Il fait super chaud, il pleut dehors, on n’ouvre pas beaucoup. Les gouttes perlent sur le front. Le matin, je me demandais si on avait le droit de cracher dans la rue ou si c’était malpoli. Ma voisine de bus me répond indirectement en ravalant 8 fois ses glaires avant de les propulser vigoureusement par la fenêtre. Une douce torpeur tente de s’emparer de moi pour que le temps passe plus vite.
BRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRR…
BRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRRR…
Je crois qu’on a du perdre le pot d’échappement.
Un bruit assourdissant, on ne peut pas continuer comme ça.
Le minibus s’arrête.
L’équipage inspecte la mécanique. A priori, on a perdu un beau morceau, vu le bruit… On parle bambara autour de nous. Les regards se croisent, scrutent le dessous du camion. ça parlote. Il faut trouver une solution. Finalement, le chauffeur trouve une solution : tout le monde remonte et on allume à fond le poste radio, histoire de masquer le bruit. La musique prend le dessus sur la panne, logique.
Cela peut paraitre original et sommaire, mais ça marche, on n’entend plus le pot, seulement du coupé décalé, c’est bien. Cela s’appelle une réparation à l’africaine. A tout problème une solution. Il n’y a donc jamais de problème. On repart.
En passant dans un village. On fait une pause. Un mec du village nous accoste et nous demande si nous ne descendons pas ici.
– Ben on est où ?
– A Sibi, vous avez déjà dépassé le campement…
– Oups… Et le bus continue ?
– Oui, il va à Conakry, en Guinée, la frontière est à 80km.
Grace à l’opération du st-esprit, nous descendons donc au bon arrêt.
Nous visitons l’aprem les falaises de Sibi, somme toute très jolies, entre sentiers latérites et roches rougeâtre chaleureuse…
Le guide du routard ne précise pas comment fonctionne les trajets retours.
Pas de problème nous dit le guide trouvé sur place. Il faut attendre en bord de route? Il passe très régulièrement.
2h plus tard. Calme plat au bord du goudron. Rien. Zéro transport. L’attente est éternellement longue.
On va dans le centre du village trouver quelque chose à grignoter.
– On a des brochettes, nous dit la dame de la gargote
Un nuage de mouches qui s’élève découvre un sceau rempli de reste de viande.
– Non merci, on va prendre seulement du riz et de l’igname.
– Et puis je vais vous prendre un beignet grillé aussi.
– Oui. Le petit s’empare d’un beignet, ramasse un bout de carton dans le caniveau tout proche et me glisse le beignet dedans, afin que je ne me tache pas les doigts. Je le remercie pour son attention et pour son souci d’hygiène alimentaire. Le beignet est excellent, surtout la mouche qui s’est noyé dans la pate. L’igname et le riz aussi mais moins quand on apprend que la sauce est faite avec le jus de viande.
La nuit se profile quand un minibus passe enfin pour nous ramasser.
Le plus long reste néanmoins à venir. Sur les 1h15 prévues initialement, le trajet va durer 2h30.
Un premier barrage policier nous ralenti pas mal. Contrôle intempestif. Bagages, etc. Au point de faire caler le véhicule malgré les coups d’accélérateur répétés du chauffeur pour que le moteur ne se coupe pas, lors de notre arrêt. Mais la bête toussote et nous voila au point mort. En fait, c’est une panne d’essence. Une chance donc que le barrage nous ait bloqué dans un village, sinon on aurait eu une panne en brousse et cela aurait été beaucoup plus galère.
Afin de redémarrer le véhicule en pente, nous faisons demi-tour devant le barrage policier pour relancer la machine. Après plusieurs centaines de mètres, le véhicule rugit à nouveau. Nous retournons devant le barrage. Nouvel arrêt demandé par les flics, les mêmes flics qui nous ont contrôlé 5 min avant. Hallucinant. Nouveau moment de fouille et de blabla. Les 21 personnes à bord n’en peuvent plus, on crève de chaud, c’est chiant.
On finit par repartir mais quelques minutes plus tard, nouvel arrêt. A un poste de police. Encore une demi-heure d’attente et de négociations. cette fois-ci, ils veulent garder le véhicule. On nous cherche un nouveau bus. Nouvelle attente. On arrive à Bamako de nuit, on a doublé le temps de transport, mais triplé le temps en comptant l’attente du bus au départ… En fait, on se retrouve avec un trajet de 4h30 pour 55km, la galère.
Comme d’habitude, sur une excursion touristique, le plus drôle reste toujours le transport.
C’était la journée de mardi.