Chers messieurs qui êtes tranquillement assis sur vos chaises,
Je ne sais pas si vous vous adressez à moi parce que je suis blanche,
Je ne sais pas si vous vous adressez à moi parce que vous pensez que c’est la première fois que j’emprunte cette rue (même si on passe devant vous chaque jour),
Je ne sais pas si vous vous adressez à moi pour vous donner de l’importance aux yeux des autres,
Je ne sais pas si vous vous adressez à tout le monde ainsi,
Je ne sais pas si c’est votre manière d’essayer de nouer le contact,
Parfois j’ai l’impression que c’est une manière de me faire sentir qu’ici c’est chez vous.
Je ne sais pas si vous vous en rendez compte ou pas,
Je ne sais pas ce que vous faîtes dans la vie car je vous vois toujours assis, sous un arbre, devant une porte de maison, au coin d’une rue,
Vous n’êtes ni très vieux ni vraiment jeunes,
Les vieux s’adressent à nous avec plus de sagesse,
Les jeunes s’amusent de la fougue de Michoco,
Sûrement êtes-vous aigris de votre vie, désabusés, inoccupés,
Mais j’en ai marre de vos remarques permanentes et continuelles à l’endroit de mon fils et ma façon de l’éduquer.
OUI il a le droit de toucher le sable. Notre rue, notre quartier, la grande majorité de notre ville, de notre pays est en sable. Un enfant de 20 mois peut prendre entre ses doigts une poignée de sable, il ne va pas mourir d’avoir touché du sable, en rentrant à la maison il se lave les mains, en touchant du sable il apprend à se frotter les mains ensuite, il fait la distinction entre le sable et les détritus qui jonchent la rue, il voit qu’il a le droit de toucher le sable mais qu’il n’a pas le droit de se rouler dedans en pleine rue, il comprend qu’il y a des tas de sable qui servent aux chantiers de construction, il observe les différentes textures de sable.
OUI il a le droit de porter sa poupée au dos. Porter un enfant n’est pas réservé aux femmes. Beaucoup d’hommes sur la planète portent des enfants. Vous n’avez pas connus ce plaisir sûrement. On a dû vous interdire de jouer à la poupée, mais Michoco a des poupées et il a le droit de jouer avec. D’ailleurs quand il n’est pas pris par ses voitures, ses livres, son train, il s’en occupe très bien, il pense à leurs couches, leurs repas, leur sommeil, et parfois l’envie lui prend de les emmener en promenade. Dans le pays où nous vivons les bébés sont portés au dos, il est donc naturel que les enfants cherchent à devenir grand et aient eux aussi envie de porter leur « bébés » au dos. Au lieu de l’incriminer, de le cantonner dans un rôle, de le faire se sentir coupable, vous devriez être fiers. Fiers de voir se perpétuer ce portage africain. Fier d’imaginer que si on laissait plus de garçons porter des poupées au dos, il y aurait sans doute moins de guerre sur terre.
OUI il a le droit de monter sur une margelle. Il a conscience de ses capacités, des dangers, et lui donner confiance en lui augmente ces capacités. Vous ne le connaissez pas et vous préjugez déjà de ses possibilités ou bien préjugez-vous d’avance de mes capacités à être mère ?
OUI il a le droit de ne pas savoir lire. Il a 20 mois, alors 20 mois ça ne vous parle pas forcément, mais en tout cas il a moins de deux ans et il n’est né avec la capacité de savoir lire ! Il est comme tous les autres enfants, il apprendra, quand son temps sera venu. Mais je ne peux même pas vous répondre car vous demandez à un enfant de 2 ans la capacité d’un enfant de 8 ans et vous prenez un autre enfant de 10 ans pour un bébé de 3 ans. La notion des âges semble être un concept un peu obscur pour vous. Peut-être n’avez-vous jamais été vraiment impliqué dans l’éducation d’un enfant. Peut-être auriez-vous tout simplement besoin de lunettes, mais je ne suis pas ophtalmo !
OUI il a le droit d’observer les chevaux, les chats, les chiens, les moutons. Ils font partie de notre quotidien, ils habitent dans le quartier tout comme nous. Alors plutôt que de leur jeter des pierres comme font les autres enfants, ce qui a pour conséquences de rendre les animaux agressifs et dangereux, il me semble plus intelligent de « cohabiter », les saluer, s’intéresser à leur mode de vie, à leur façon de manger, de faire pipi. Je conçois que vous n’aimez pas les animaux, mais nous on les aime bien !
OUI il a le droit de s’habiller léger. Nous vivons dans un pays où il fait chaud, et ce n’est pas parce que vous préférez la beauté, l’apparence au confort que je dois faire porter des sweets à manches longues et à capuche par 40 degrés. Non, avec un short et un marcel il ne va pas prendre froid, ne vous inquiétez pas pour lui. Et quand bien même il tomberait malade, ce n’est pas vous qui allait le veiller la nuit, si ?
OUI il a le droit d’observer les fleurs. Nous savons que certaines fleurs ont des épines, mais ça nous fait plaisir de les regarder, de les sentir, de les toucher. On peut comprendre que ce n’est pas votre truc, mais laissez-nous tranquille !
OUI il a le droit de venir vous parler. Ou pas. Ce n’est pas parce Michoco vient vous dire bonjour un jour qu’il doit passer vous dire bonjour tous les jours. Parfois il a envie de converser avec vous, parfois il est pris dans autre chose et un petit geste de la main suffit. On n’a pas d’obligations envers vous. Si ce n’est un minimum de politesse, ce que je m’efforce de lui inculquer. Maintenant si vous tenez absolument à nous parler, vous pouvez aussi vous lever et venir à notre rencontre au lieu de nous siffler comme des chiens.
On dit qu’en Afrique ça prend tout un village pour éduquer un enfant…
Quand Michoco était bébé, c’était les vieilles femmes. Il ne fallait pas le porter devant en écharpe, il fallait lui donner à téter toutes les 3 minutes 50, il fallait faire si, pas ça. La couche comme ça, le bonnet comme si. Quoi à 2 semaines vous ne lui faîtes pas porter de chaussures ? Nous on sait, pas toi… et blabla bla et blabla bla… Et voilà que Michoco grandissant vous vous y mettez aussi ?!
Je veux bien que vous lui transmettiez votre langue, vos coutumes, vos rires, vos débats, vos histoires, vos salutations, un peu de vous, certains de vos secrets, mais s’il vous plaît, vos conseils de rue gardez-les parfois pour vous ! Réfléchissez avant de parler. Se permet-on de vous dire que vous êtes trop couvert, que vous seriez mieux assis sur une chaise verte ou que vous risquez de tomber sur les pierres à côté de vos pieds ?!
Michoco a soif de vivre, soif de découverte, soif des autres, de tout ce qui l’entoure. Il s’en nourrit pour grandir. Notre promenade de fin d’après-midi est un plaisir. Notre petit plaisir à tous les deux que nous partageons avec joie au hasard de nos rencontres avec les gens, les enfants, les vieux, les jeunes, les commerçants, les fleurs, les animaux, etc. J’épanche sa soif, je lui donne envie, je fais de mon mieux pour l’accompagner dans ses aventures et ses apprentissages. Peut-être préféreriez-vous qu’il soit comme vous, les fesses assises sur une chaise à longueur de journée ?
Je veux bien accepter, écouter, entendre les remarques de ceux qui apporteront leur petite pierre à l’édifice, qui se lèveront pour nous montrer quelque chose, qui se mettront à la portée de Michoco pour lui expliquer quelque chose, qui auront quelque chose à partager, à nous transmettre.
Sur ce, Messieurs qui ne lèveraient pas les fesses de vos chaises, je vous laisse, j’ai un petit arbuste à arroser…
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