J’ai réfléchi toute la semaine pour me décider… Sous quel angle axer ce « gros plan », le thème imposé de la semaine 2 du projet 52.
J’étais vraiment partagée entre mon idée de départ que ce projet me permette de vous parler de mon Afrique et cette envie, ce besoin, presque viscéral, de prendre part aux évènements qui ont secoué la semaine… partagé aussi entre l’envie de faire dans la légèreté car on en a bien besoin, et celle d’être sérieuse car la situation est grave.
Je vous présente un gros plan sur ces tablettes de Coran. Oui au XXIème siècle le mots ‘tablette’ peut encore désigner autre chose que ‘tablette numérique’ ! Une photo que j’aime beaucoup qui me rappelle des moments tendres et joyeux.
Durant les vacances, Michoco et moi-même avons eu la chance de pouvoir prendre part aux leçons coraniques dans notre « maison ».
Les cours se tiennent sur une natte, à l’ombre d’un arbre et selon les disponibilités de notre « maître coranique », un parent éloigné qui a rejoint la concession familiale avec ses deux enfants suite à des difficultés dans sa vie urbaine. Il consacre bénévolement quelques heures de ses journées à transmettre son savoir.
Les enfants de la maison (âgés de 13 à 5 ans) n’ont jamais eu l’occasion d’apprendre auparavant car personne ne maîtrise suffisamment pour pouvoir enseigner. Par ailleurs, et contrairement à la majorité du Sénégal, le village est à grande majorité chrétienne, sans mosquée et avec donc peu de musulmans pratiquants. Entre pratiquer une religion et pouvoir l’enseigner il y a encore un autre fossé, d’autant plus que le Coran s’apprend en arabe, une langue qui n’est pas pratiquée dans la vie courante. Notre maître maîtrise un peu mieux son sujet, il n’est pas allé à l’école française, c’est l’école coranique qu’il a suivi dans sa jeunesse, avant de partir en tant qu’apprenti pour être formé au métier de boulanger.
L’enseignement du Coran se fait sur des tablettes en bois, sur lesquelles le maître écrit des versets avec une plume et de l’encre noire faite à base d’écorce de manguier que l’on fait mariner et bouillir toute la nuit. Cette encre est suffisamment durable pour pouvoir passer et repasser son doigt sur les textes afin de mémoriser et suffisamment effaçable pour s’estomper et laisser place à d’autres mots, d’autres textes au fur et à mesure de l’apprentissage.
Nous commençons par apprendre les lettres, les sons, et à les répéter. A force on reconnaît certaines lettres identiques ce qui permet d’avancer plus rapidement dans le texte.
Tous âges, tous niveaux. Sur la natte chacun est avec sa tablette mais il y a une vraie hiérarchie sous le maître coranique. Les plus avancés font répéter et corrigent ceux qui n’ont pas encore leur niveau, les novices écoutent et enregistrent ce que répètent les plus grands. Michoco joue le jeu et rapidement il capte des sons qu’il répète à qui veut bien l’écouter. « Sou-ra-tou… »
Lassé il se lève et quitte le cours, emportant avec lui quelques tablettes au passage dans le but d’entraîner certains de ses amis hors de la natte ! (Je rappelle qu’il a deux ans…) Les plus jeunes élèves font de même. Le cours est ouvert, il n’est pas imposé, on n’y vient ou pas, on y reste plus ou moins longtemps, mais je remarque que tous les enfants sont vraiment pressés de venir sur la natte quand leur maître s’installe, surtout par soif d’apprendre. Les enfants peuvent se lever, sortir et revenir du cours assez librement. Un Montessori du Coran ! La notion de plaisir dans l’apprentissage, c’est important ! Certains ont fait beaucoup de progrès, ils ont laissé les lettres, les syllabes et récitent déjà à voix haute les vrais mots. Pas de pression, chacun avance à son rythme, et ce peu importe l’âge. D’ailleurs personne n’est complexé.
C’est un peu difficile de se concentrer car tout le monde parle à voix haute en répétant des lettres, des sons, des mots différents… Mais ça met dans l’ambiance !
J’aimerai que Michoco en grandissant ait l’occasion d’apprendre le Coran dans ces conditions. En groupe. De tous niveaux. Sans contrainte. Juste avec l’envie de prendre part au groupe, l’envie de découvrir et le plaisir de progresser. Les filles et les garçons sont mélangés, les mamans ou autres adultes sont parmi eux également, nous sommes tous des apprenants. Je ne sais pas encore si cela sera applicable à notre mode de vie à Dakar, je suis encore marquée par le récit d’une toubab à dakar qui racontait que le maître de son aîné possédait une grosse corde d’escalade pour corriger les indisciplinés…
Notre maître a vraiment envie de partager son savoir. Il est patient. Il aime ce qu’il fait, le fait avec plaisir. Les enfants le respecte, mais il est bienveillant, compréhensif aussi. Il cherche le dialogue et malgré son français limité il a à cœur de partager ses connaissances, d’échanger avec moi, avec tous.
Nous dialoguons sur la nécessité de passer par le « par cœur » pour mémoriser les lettres, les mots en arabe, mais aussi l’importance de traduire et faire comprendre ce que ces mots signifient, que les apprenants puissent avoir un débat sur le sens des textes qu’ils sont entrain d’ingurgiter, une réflexion. Cela me tient beaucoup à cœur, d’autant plus que la culture d’apprentissage dans les écoles au Sénégal est encore beaucoup basée sur du par cœur et un respect total de l’enseignant, ce qui laisse peu de place jusqu’à un certain âge à la réflexion et au libre arbitre. Ce n’est pas évident d’apprendre une religion dans une langue complètement inconnue… sans en maîtriser le moindre sens qui plus est… Certes il y a des choses à connaître par cœur, en commençant par les prières, mais ce n’est pas tout de savoir réciter l’intégralité du Coran par cœur, c’est également important de pouvoir en comprendre le sens car aujourd’hui je trouve que beaucoup de musulmans au Sénégal (pas tous bien entendu) ne connaissent pas ou très mal leur religion. Ceux qui ont une étude poussée du Coran sont capables d’aller chercher des références, de pouvoir prendre des positions sur des questions éthiques, sociales ou morales. Pour ma part, j’aime beaucoup aller poser des questions aux imams, ils ont toujours su prendre le temps de me répondre et, même si elles peuvent être débattues, leurs réponses étaient éclairées et ont alimenté ma propre réflexion.
J’ai aimé l’ouverture d’esprit de mon « maître », qui est à la hauteur de l’ouverture d’esprit de 99,99% des séngélais que j’ai eu à côtoyer. Il est très content que ses enfants suivent l’école française et il voit les deux enseignements comme allant de paire, et non l’un contre l’autre. Une belle leçon à laquelle j’aurai aimé que les sectaires fous du Nigéria assistent avant d’envoyer pour seul escadron de la mort une fillette de 10 ans, sans doute kidnappée, volée à sa famille, dont l’unique crime aura été celui d’aller s’assoir sur les bancs d’une école…
Le dialogue a bien évidemment eu lieu avant les attentats mais mon « maître » d’une semaine aborde lui-même le sujet de l’intégrisme et m’explique très clairement qu’il ne comprend pas les terroristes, pas non plus les femmes qui portent le voile intégral, que pour lui ce n’est pas sa religion, il a bien relu les textes à ce sujet. Si au fin fond du bout du monde on ne fait pas l’amalgame, je pense qu’il est de l’ordre du possible, du raisonnable de ne pas faire l’amalgame ailleurs, non ?!
Bref, voilà mon gros plan sur un bel échange, des moments très plaisants, et l’envie de créer d’autres occasions pour poursuivre cet apprentissage et les débats !
Pour découvrir les autres « gros plans » du projet 52, c’est là !
Je précise pour les lecteurs de passage que ce texte est issu uniquement mon vécu, mon expérience et convictions personnelles et que d’aucune manière il ne cherche à juger ou à généraliser la manière dont on enseigne le Coran, ni ici, ni ailleurs, ni nul part. Cet enseignement, comme toute forme d’enseignement, doit sans doute revêtir multiples aspects et facettes.