J’ai suivi avec attention tous les posts de mes « copines bloggueuses » sur le sujet de l’IVG. Je me suis promis d’en écrire un moi-même avant la manif du 1er février en soutien aux Espagnoles. Et puis tous ces textes mieux écrits les uns que les autres… L’angoisse de la page blanche m’a assaillie… Moi qui suis d’un naturel plutôt bavard. Oui mais voilà quand ça ne vous concerne que de loin, c’est facile de pousser un grand coup de gueule !
J’ai subi une IVG en 2007.
J’ai été très seule. Je ne me suis pas sentie accompagnée du tout. Je n’ai pas réussi non plus à partager ce passage de ma vie avec mes proches. Ça a été la décision la plus difficile que j’ai eu à prendre dans toute ma vie. Je n’avais pas 15 ans, je ne venais pas de perdre mon mari dans un accident de voiture, je ne m’étais pas faite violée, rien de tout ça. Et pourtant, à ce moment-là, j’ai fait ce choix.
Je me souviens, je n’oublie pas, je n’oublierai jamais.
Je rentre d’Afrique complètement déboussolée. 3 mois de brousse, sans eau courante, sans électricité, la nuit à la belle étoile, la journée dans les champs. Des images pleins la tête, le calendrier grégorien un peu loin, code carte bleue : oublié. Bref, à l’ouest ! La date de mes règles passent, mais entre le traitement anti-palu, le décalage, la perte de poids liées à mes conditions de vie, rien d’affolant. J’avais pris mes précautions. Et puis le retard avançant, j’achète un test de grossesse à la pharmacie. Il reste dans mon sac plusieurs jours, je n’y crois pas une seconde.
Gare de l’Est, départ pour un week-end aux Eurokéennes. Pause pipi. Allez je le fais ce test ?! C’est positif. La dame pipi du sous-sol me regarde sortir de son territoire incrédule. Je suis scotchée. Je touche mon ventre. J’attends un bébé ?! Je ne sais même pas comment je monte dans le train. Tout le week-end je vis avec cette nouvelle idée, me caresse le ventre, ai peur du bruit, évite l’alcool, etc.
La semaine suivante je vais faire le point chez le généraliste, il me conseille de prendre quelques jours pour réfléchir. A cette heure-là je n’ai rien décidé. Je suis très heureuse de porter cette vie en moi. Je ressens un grand bonheur. Je commence à faire des plans sur la comète. Et puis un grand désarroi m’assaille. Le papa de ce bébé vit dans un autre monde, à mille années lumières d’ici, il n’a pas de papier pour venir. Quel avenir pour moi ? Nous ? Ce tout petit être qui pousse en moi ? On se connait peu, on vient de deux cultures que tout oppose, on n’a même pas vraiment parlé d’avenir ensemble… Je cherche un centre, un planning familial pour en parler, une personne neutre, spécialisée, qui peut m’aider à cheminer et à prendre une décision. Je ne trouve personne, ou alors dans des délais de 6 mois…
Mes parents tombent des nus (faut dire qu’il y a de quoi…). Au lieu de m’apaiser, ils me paniquent, et puis ce bébé il sera noir ?! Me précisant bien que je serai toute seule dans cette affaire. Ils n’ont pas tort en soi, mais ce ne sont pas les mots que j’ai besoin d’entendre à ce moment-là.
J’ai peur de ne pas prendre la bonne décision, de le regretter à vie. De faire une erreur. Je me sens très seule face à mes questions. Pourtant je l’aime cet homme avec qui nous avons conçu à notre insu cette petite révolution. Et puis je me dis que quelque soit le choix que je prends, je devrais bien faire un choix et vivre avec. Le temps ne joue pas en ma faveur. Mon enthousiasme du début commence à s’étioler, à se transformer en crises d’angoisse et un sentiment de solitude très violent.
Ensuite commence la galère pour trouver quelqu’un qui veut bien pratiquer l’IVG. Vacances, rendez-vous hors délais, médecins overbookés. Et chaque fois la même rengaine, il faut redonner la date de ses dernières règles, les secrétaires calculent, non désolée madame, ce ne sera pas possible, mais essayez peut-être à tel endroit… A chaque fois, le doute revient. Si ce n’est pas possible, c’est peut-être un signe du destin ? 10, 15, 20 appels. Je décroche in extremis un rendez-vous. C’est peut-être aussi un signe du destin ?
Le rendez-vous est encore dans plusieurs jours. Ces jours sont longs. Très longs. Remplis de pleurs, de doutes à nouveau, de questionnements, de « si… et si… », de « peut-être », de « oui », de « non », de « je ne sais pas ». Je suis perdue. Tout ce temps-là vous le passez bien sûr avec un petit embryon dans le ventre, qui vous fait sentir si différente, si exceptionnelle. Un potentiel être en devenir dont vous êtes entièrement responsable. Tout se temps-là, vous n’avez personne à qui vous confier.
Heureusement, le gynécologue qui me reçoit est génial. Il est très positif. D’ailleurs il commence à m’ausculter en disant : « Et sinon, vous voulez combien d’enfants ?! ». Il me donne encore le temps de la réflexion, mais pas trop car la deadline va tomber. Semaine suivante, dernière semaine possible pour être dans les délais…
Week-end à la campagne. Sentiment de plénitude dans la piscine avec ce ventre qui contient la vie, en secret. Et puis le lundi matin arrive. Sentiment de courage à prendre devant mon choix, un choix qui s’impose à moi naturellement, même si mes rêves voudraient qu’il en soit autrement. Un choix que je fais sans vouloir me retourner en arrière, sans vouloir regretter.
Ce matin-là, deux autres femmes sont dans le hall pour une IVG en même temps que moi. Ma camarade de chambre est maman d’une petite fille de quelques mois, elle est venue avec son mari qui lui tient la main tout le temps. « C’est trop tôt, nous avons déjà un tout petit bébé » me dit-elle. Je ne lui demandais pas d’explication, elle a sûrement dû juger nécessaire de se justifier. La seconde ne parle à personne, jugeant sûrement qu’elle n’avait pas à se justifier. Sitôt l’intervention passée, elle fuit l’hôpital, sans signaler son départ aux infirmières, sans signer de bons de sortie. L’équipe des anesthésistes est adorable, ils me rassurent, détendent l’atmosphère. Je prends une grande respiration. Ils décomptent : dix, neuf, huit… Je suis endormie. Je me réveille en salle de réveil, j’ai froid, mal au ventre, un peu. L’infirmière m’apporte une couette.
Quand je veux partir en fin d’après-midi après le délai requis d’observation, l’infirmière en chef refuse de me laisser partir. Elle veut que j’ai un accompagnant car j’ai subi une anesthésie générale. Et moi qui me sens déjà seule au monde, j’ai beau lui expliquer que je suis absolument seule, que tous mes proches sont loin ou partis en vacances, que l’homme est lui carrément dans un autre continent, elle ne veut rien entendre. Cela me rend encore plus coupable d’être seule. C’est le gynécologue qui vient lui dire que c’est lui mon accompagnant, il me laisse à la porte de la clinique. Je rentre à la maison, encore une fois seule, et vide, très vide. Je recommence le travail le lendemain. Tout le monde bosse normalement. Moi je suis définitivement changée. C’est comme si il y avait le monde avant, et le monde après.
Je veux en parler après, mais personne ne me propose un suivi post-IVG. Je cherche, je ne trouve pas. Tout le monde est surchargé. On me fait comprendre que mon cas n’en n’est pas un. Je me fais une raison. Mais il y a des cicatrices qui guérissent mieux que d’autres. Et puis les cicatrices guérissent surtout mieux s’il y a des docteurs pour les soigner et un patient à qui l’on montre les gestes pour désinfecter, cautériser, placer des pansements. Je traine encore cette peur de l’abandon qui m’empêche souvent de profiter de l’instant présent.
Quand ma petite sœur m’annonce que je vais être tata dans quelques mois, je pleure.
Je garde longtemps une tristesse en moi, une tristesse que je n’arrive pas forcément à expliquer.
Et puis je fais une chose géniale. Je vais enterrer symboliquement cette « petite graine » dans le cimetière pour enfants de mon village d’Afrique où tout a commencé. Ce n’est pas un cimetière avec des croix, des tombes, des fleurs. C’est un morceau de colline. Vous pouvez y passer sans vous rendre compte qu’ici sont enterrés les bébés morts-nés, les nourrissons qui n’ont vécu que quelques semaines, les décés suite à des fausses couches, bref, pas mal de cas pour lesquels la nature n’a pas été souriante (en pleine brousse, à 100 km du premier hopital, sans suivi médical, sans accompagnement obligatoire de la femme autour de sa grossesse, sans moyen pour ces femmes pour pouvoir prendre en charge elle-même leur propre suivi, la nature n’est pas toujours souriante…).
J’ai une petite pierre en forme de cœur que j’avais justement trouvé le mois où je suis tombée enceinte. Je l’avais confié à mon amoureux en lui disant solennellement « je te confie mon cœur », entre deux larmes avant de le quitter à la porte de l’aéroport moite de sa chaleur africaine. Il comprend mon chagrin, peut-être pas totalement car pour lui la question du choix ne se pose pas, mais il m’accompagne et nous allons tous les deux enterrer cette petite pierre, ce petit cœur. Je sais que ça a compté pour lui aussi. Dans ce pays où l’avortement est interdit, dans sa religion où il est banni, il m’a laissé faire mon choix. Merci. Bien plus tard (la vie nous a séparé mais nous sommes restés amis), après le décès de son enfant né mort-né, il me dit : « Je pleure mes deux enfants qui sont enterrés ».
Il m’arrive parfois d’y repenser. De moins en moins souvent, seulement de temps en temps, de calculer l’âge qu’aurait cet enfant, d’imaginer comment aurait été ma vie si j’avais pris cette autre décision ou si je n’avais pas eu le choix. Quand j’entends parler d’IVG de confort, j’ai mal car avoir à pratiquer une IVG est tout sauf une partie de plaisir, vous ne pouvez jamais l’oublier. La vie reprend son cours, mais ce n’est pas anodin comme d’aller chez le coiffeur. Alors quand en plus ça devient un parcours du combattant…
Et puis j’ai fait le choix d’avoir un enfant. A un moment que j’ai choisi. Avec un conjoint que j’ai choisi. Dans le projet de vie que j’ai choisi. Bien sûr ça n’enlève pas les doutes, l’incertitude en l’avenir, la peur de ne pas bien faire. Mais je ne subis pas, je vis. Et donner la vie dans cette vie que je vis est la chose la plus extraordinaire qu’il m’est arrivée de vivre !
Chaque femme doit être libre de son corps. Chaque femme doit pouvoir avoir le choix. Chaque femme doit pouvoir être accompagnée, aidée, suivie, soutenue dans son choix, quel qu’il soit. Si vous le pouvez, allez à la manif du 1er février pour le crier haut et fort et dans tous les cas, continuez à en parler librement autour de vous pour ne pas laisser croire à d’autres qu’ils ont le droit de choisir pour nous.
Quelques articles sur la blogosphère, parmi tant d’autres…
Morpheen : l’IVG pour les nul-le-s
Mamengagée : Nous sommes ces femmes libres de disposer de leurs corps et de leurs choix
Les mots de Kiara : Et si tu étais née en Espagne, ma fille…
C’est quoi bruit : Mon utérus t’emmerde !
Maman anonyme : Moi et moi seule !
Allo maman dodo : Avoir le choix de faire un choix… ( IVG, mon corps, mon droit)
Avis de mamans, le coin d’Elsa : Lettre ouverte à Najat Vallaud-Belkacem
À la rach’ : mon Utérus était à moi…
Miss bavarde : je dispose de mon corps comme bon me semble
Working mama : mon corps se fout de votre volonté
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